Site archéologique
L'hypothèse du cirque romain de MEDIOLANVM
Nicolas Moreau est le premier au milieu du XIXe siècle a avoir imaginé un cirque romain dans le vallon de la Combe (parfois aussi appelé La Combe des Sables ou La Combe-à-Cocu) en raison de sa topographie évocatrice. Un siècle plus tard, Marcel Clouet reprend l'hypothèse après la découverte en avril 1944 d'une série de gradins en calcaire taillé, le long de la route D128, à la sortie nord de Saintes, dans le prolongement de la rue de la Boule en direction de Port d'Envaux. Cette découverte est faite lors du percement de la tranchée antichar par les Allemands. Des fouilles sont menées en 1956/1957, puis des sondages de 1961 à 1963 par Marcel Clouet, conservateur du Musée archéologique de Saintes, archéologue et membre de la Société d'Archéologie de Saintes. La plupart des vestiges se trouvent sur les flancs du vallon sous 3 à 5 mètres de terre. Comme l'amphithéâtre qui était enseveli sous plusieurs mètres de terre qui ont été dégagés au début du XXe siècle, le site du cirque romain pourrait êre aujourd'hui enseveli par près de 2000 ans de ravinement naturel.
Par Romain CHARRIER - Publié le 19 mai 2018
Aquarelle du cirque de Médina en Espagne par © Jean-Claude Golvin - Le cirque de Mediolanum serait de même dimension que celui de Médina
Les hypothèses de Marcel Clouet
Marcel Clouet estime que le cirque (ou hippodrome antique) se trouvait au nord de la cité à 270 mètres de la limite de l'agglomération antique de Mediolanum, dans le vallon de la Combe orienté Est/Ouest. De nombreux cardi (un cardo est une voie orientée nord/sud dans la ville antique, au pluriel : des cardi en latin) et voies romaines desservaient l'édifice de spectacle. Les gradins et la cavea s'appuient sur les flancs du vallon, un mode de construction similaire à celui de l'amphithéâtre qui utilise la topographie du terrain pour poser le monument. La structure est donc pleine permettant une économie de construction considérable sur toute la longueur de l'édifice. La cavea aurait été constituée de gradins en pierre pour le podium réservé aux plus riches et en bois pour la plèbe (comme à l'amphithéâtre). Les nombreuses tuiles romaines indiqueraient la présence d'une toiture pour protéger les gradins des intempéries ou du soleil selon M. Clouet.
Dans ses écrits, Marcel Clouet estime que le cirque de Mediolanum pouvait mesurer 400 mètres de long sur 90 mètres de large. Il donne ces dimensions en se fiant à la topographie du vallon et aux proportions des autres cirques connus tels que les cirques d'Arles (450 mètres sur 100 mètres), de Trèves, de Vienne (460 mètres de long) et de Nîmes. Celui de Médina en Espagne qu'il ne mentionne pas fait également 400 mètres sur 90 mètres (voir illustration de JC Golvin en entête).
De l'autre côté du vallon, au nord-ouest de l'emplacement supposé du cirque, entre le lieu-dit Lagord et la Combe, des substructions, des pierres de constructions et des tuiles romaines indiquent la présence d'un bâtiment antique (écuries ou dépendances du cirque selon l'archéologue).
Tous ces éléments découverts ont mené Marcel Clouet à penser qu'il s'agissait des vestiges d'un hippodrome antique, le cirque romain de Mediolanum dont le mode de construction serait similaire à celui de l'amphithéâtre de la cité, utilisant la topographie du terrain pour appuyer la structure du monument, ce qui pourrait indiquer que le cirque est contemporain à l'amphithéâtre, soit du Ier siècle de notre ère.
Les indices mis au jour
Les différents sondages et fouilles menés entre 1944 et 1963 ont permis de découvrir :
► une série de gradins en pierre semblables à ceux du podium de l'amphithéâtre de Saintes (mêmes dimensions, jusqu'à 30x120x88cm),
► deux inscriptions sur l'étroite partie verticale de deux blocs des gradins,
► des déblais de constructions romaines, du mortier rose caractéristique,
► des traces de taille sur la roche de la crête du vallon,
► une hipposandale (objet en fer pour protéger et soigner les sabots des chevaux),
► des clous en très grande quantité (pour clouer les gradins en bois selon M. Clouet),
► de nombreuses tuiles à rebord (tegulae),
► deux grandes tuiles rondes (pour l'écoulement des eaux),
► de nombreuses pièces de monnaies impériales,
► des poteries, des fragments d'amphores,
► les vestiges de plusieurs voies antiques venant de Mediolanum (les cardi de la ville) qui desservaient
le bord du vallon,
► deux sépultures orientées est-ouest (cavaliers ou conducteurs de chars gallo-romains selon M. Clouet), une tête, des ossements et de nombreuses dents de différents chevaux (victimes d'accident selon M. Clouet) en 1957,
► une nécropole à incinération au sud-ouest du cirque que M. Clouet dit être en lien avec l'édifice de spectacle,
► une statuette d'Epona découverte dans un puits gallo-romain à quelques centaines de mètres, Epona était ladéesse protectrice des chevaux et cavaliers, M. Clouet la met en lien avec les activités équestres du cirque,
► un massif de blocs de grand appareil avec une cinquantaine de tessons de céramique et une céramique sigillée (1974)
► un alignement de moellons sur 25 mètres au-dessus d'une maçonnerie liée au mortier rouge-orangé (antique)
► deux murs distants de 26 mètres de l'autre côté de la D128
Illustration des gradins découverts en 1944 dans le vallon
de la Combe à Saintes - Revue de Saintonge et d'Aunis 1953
Inscriptions sur les gradins découverts en 1944
Revue de Saintonge et d'Aunis 1953
Les cardi qui desserviraient le cirque
De nombreuses voies (cardo de la ville orientés nord/sud, cardi au pluriel) convergeaient vers l'édifice de spectacle hypothétique, arrivant pour certaines directement jusqu'au bord du vallon de la Combe selon M. Clouet :
► La voie la plus à l'ouest serait celle de la rue du lycée agricole (rue Georges Desclaude) qui serait une voie romaine partant vers l'océan (jusqu'à l'île Madame). Il s'agirait d'une des sorties de la ville antique, qui pourrait correspondre au prolongement du cardo du tracé de la rue Pierre Loti,
► Un premier cardo qu'il nomme des Petits-Champs (selon sa description doit être celui dans le prolongement de la rue Ambroise Daubonneau),
► Un cardo identifié dans le prolongement de la rue de la Boule et de la route de Port d'Envaux (confirmé par une coupe à proximité du cirque, à un mètre de profondeur),
► Un cardo à une soixantaine de mètres à l'est du précédent et qui est dans le prolongement du cardo longeant les thermes antiques (confirmé par une coupe à proximité du cirque, à un mètre de profondeur),
► Un cardo connu dans le prolongement de la rue Daniel Massiou,
► Un cardo qui partait du port Larousselle, remontait les abattoirs et le chemin des Sables,
► Peut-être un dernier cardo qui longeait le Fleuve et remontait vers Courbiac.
La liste des cardi données par M. Clouet correspond à peu de chose près au réseau de voirie antique connu à ce jour. Marcel Clouet rajoute d'autres voies, une à l'est dans le vallon en direction de la Charente ainsi qu'une au nord sur le coteau opposé à la ville.
La convergence de l'ensemble de ces cardi et voies romaines vers le vallon de la Combe (que ces voies ne pouvaient pas traverser en raison de sa topographie) ont conduit Marcel Clouet à le conforter dans son hypothèse de la présence d'un édifice monumental pouvant accueillir un nombre considérable de personnes desservi par toutes ces voies.
Hypothèse de l'emplacement du cirque romain de Mediolanum et des cardi qui le desservent. Carte IGN - En bleu le tracé des cardi de Mediolanum - Plan du cirque de Médina (Espagne) similaire aux dimensions données par M. Clouet
Les sondages de 1974 et la relecture de Louis Maurin
Lors du creusement d'une tranchée dans le vallon pour l'établissement d'un tout-à-l'égout en 1974, l'archéologue Louis Maurin a pu observer un massif de blocs de grand appareil, une quantité importante de tessons de céramique commune et un de sigillée du Ier siècle de notre ère, ainsi que la coupe d'un alignement de moellons dessinant une courbe et une maçonnerie liée à un mortier rouge-orangé (mortier romain) de 25 mètres de long. De l'autre côté de la route D128, deux autres murs constitués de moellons irréguliers et distant l'un de l'autre de 26 mètres ont été observés. Louis Maurin ne nie pas les découvertes de Marcel Clouet, mais est beaucoup plus prudent dans son interprétation. Les vestiges découverts ne sont selon lui pas assez explicites pour conclure à la présence d'un cirque dans le vallon de la Combe. Il admet cependant que la topographie du lieu est relativement suggestive, que les blocs de gradins ont pour certains des dimensions voisines aux gradins de l'amphithéâtre et les gravures retrouvées peuvent évoquer celles relevées au théâtre des Bouchauds en Charente. Cependant la largeur du vallon est selon Louis Maurin trop étroite pour accueillir un cirque.
Au début des années 90 a été mis au jour un char dans la rue de la Boule à proximité du cirque. Ce n'était pas un char commun mais un char de parade, très décoré avec des éléments gaulois. Il a été découvert dans un cénotaphe (monument funéraire sans corps) et a été daté du milieu de Ier siècle de notre ère (période Claude). Ce char de parade pourrait avec un lien avec l'édifice de spectacle.
On ne peut donc pas dire avec certitude qu'il existe un cirque romain dans ce vallon. Mais un grand nombre d'indices plus ou moins indirects permettent d'en émettre l'hypothèse :
► Topographie suggestive du vallon de la Combe permettant d'y construire plus vite et moins chère un édifice de spectacle en appuyant les gradins sur les flancs du vallon (comme à l'amphithéâtre),
► Présence de gradins en pierre similaires à ceux du podium de l'amphithéâtre de Saintes,
► Présence de nombreux clous que Marcel Clouet interprète comme ayant servi à la fixation des gradins en bois,
► La convergence des cardi de la cité vers le vallon de la Combe,
► Présence de nombreuses traces de maçonneries antiques, céramique, monnaies impériales et tuiles romaines,
► Découverte d'une hipposandale,
► Nombreux ossements et dents de chevaux,
► Découverte du char de parade dans un cénotaphe à proximité.
Aujourd'hui le vallon est en grande partie comblé, cultivé et se trouve dans la limite nord de l'agglomération, à peine à une cinquantaine de mètres des premières habitations. Il est traversé par deux routes dont les chaussées s'appuient peut-être sur des vestiges des maçonneries du cirque (la rue de l'Abattoir traverse le vallon de la Combe sur un remblai qui pourrait être la partie orientale du monument). A proximité du vallon se trouve le lieu-dit "Les Sables" (a-t-il un lien avec la quantité de sable considérable nécessaire pour l'arena du cirque ?). On peut également observer sur les photos aériennes d'après-guerre que le site était traversé par la tranchée antichar creusée en 1944 par les Allemands (c'est lors du creusement de cette tranchée qu'ont été découverts les gradins). Le tracé de cette tranchée est conservé dans le parcellaire qui traverse le vallon.
Il faut cependant être prudent avec les interprétations de Marcel Clouet. Sur les nombreux sondages réalisés, il n'a pas trouvé d'autres gradins en pierre identiques à ceux de 1944. Les fouilles de l'époque ont été faites avec sérieux mais les éléments découverts n'ont pas été cartographiés avec précision. Le travail plus consciencieux des archéologues contemporains les empêcherait d'aboutir si facilement à une telle conclusion avec si peu d'éléments probants. La spina (le mur central autour duquel tournent les chars) n'a pas été mise au jour dans la partie basse du vallon. Même si l'idée est très séduisante, l'enthousiasme des archéologues de l'époque qui voulaient absolument y voir un cirque doit être pris avec prudence. Peut-être qu'un jour, une volonté politique et la prescription de sondages ou de fouilles complètes pourrait confirmer ou non la présence d'un cirque antique à cet endroit, ce qui serait une découverte exceptionnelle, les cirques étant rare en Gaule.
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Article Romain Charrier - 19/05/2018
Sources :
Revue de Saintonge et d'Aunis - p. 1 à 17 - Marcel Clouet - 1953
Revue de Saintonge et d'Aunis - p. 425 à 429 - Marcel Clouet - 1962
Revue de Saintonge et d'Aunis - p. 451 à 465 - Marcel Clouet - 1963
Carte Archéologique de la Gaule 17/2 - p. 357 à 363 - Louis Maurin - 2002
Bulletin de liaison de la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Charente Maritime 1976, p. 28 à 32
Illustration : Aquarelle de Jean-Claude Golvin du cirque de Médina en Espagne
Dessin des gradins et des inscriptions Revue de Saintonge et d'Aunis 1953 p. 6 et 7
Carte IGN - Photo aérienne du vallon de la Combe crédit TsitU
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Ce blog est un média dédié à l'histoire de MEDIOLANVM (nom antique de Saintes), à l'actualité archéologique en Saintonge (et parfois au-delà) et de son peuple celte les SANTONES. Je ne suis ni archéologue, ni historien, juste un amateur passionné par ces sujets, vice-président de la Société d'archéologie et d'histoire de la Charente-Maritime. Les informations de ce site sont tirées d'ouvrages, de rapports de fouilles, de communiqués de presse, de conférences, de visites de chantiers archéologiques, de rencontres et d'entretiens avec des spécialistes.
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